* [Deauville, Août 2009]
samedi 05 septembre 2009.
Je regardais par la grande fenêtre qui donnait sur l'immense fontaine à côté du parc. Je partais souvent, ailleurs, quand elle m'était tout son coeur à nous transmettre ce qu'elle savait, sur la Danse. Je me disais que ce lieu, c'était une chance. Elle nous apprenait doucement à écrire et c'était long. J'étais fatiguée. Je me demandais comment j'allais faire. Je ne me sentais pas vidée de l'année dernière pour commencer une nouvelle rentrée. Comme ces cours qui ne sont pas encore rangés. Je ne le sens pas. C'est un peu trop pour moi tout ça. Et lorsque nous mangions ensemble, à cette nouvelle cantine, entourés de tous ces jeunes gens passionnés et surtout talentueux, je me sentais timide et tremblante. Oui il faisait froid, mais il y avait le risque qu'on ne se sente pas vraiment chez nous dans cette grande institution. Tu vois, en sortant des vestiaires, je me suis perdue avant de retrouver la sortie.
Il faut revenir à l'essentiel. L'essentiel. Le corps. J'ai senti qu'il n'était plus dans la Danse, qu'il vieillissait, que je ne l'entretenais plus comme avant. Je m'en voulais. Terriblement. J'avais envie de m'envoyer valser et transpirer. M'envoyer Danser et me dire tu vois petite conne, si tu continues comme ça tu vas devoir tout reprendre à zéro. Déjà que tu en est loin. Du compte.
11 août 2009. J'attends comme une amoureuse. Ca peut-être excitant parfois. Mais ce moment où tu attends de voir son prénom apparaître sur l'écran de ton portable, ce moment, est insoutenable. Ca fait comme une boule là à l'intérieur du ventre. Et le pire, c'est que j'oublie parfois de répondre dans l'instant, et lui aussi, il doit avoir mal au ventre.
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Ce qui était agréable, c'est que les réponses étaient chaque fois douces et estivales. Ce qui était inattendu, c'était quand il m'envoyait "Tu me manqueras quand je serai dans le Sud, parce que tu me manques déja". Quand on venait de se quitter et qu'il mettait "Encore de très agréables moments partagés" ou quand il écrivait aussi "Je t'embrasse très fort" juste ça. Mais c'était bon parce que ce n'est son genre. Ce qui était agréable, c'était lui au juste. Juste là dans ces bras scellés.
12 août 2009. Tu sais, cette sensation d'être en vacances : avoir le coeur serein et le corps qui suit le rythme. Le rythme des vagues de la Seine. Cette sensation, je ne l'avais ressentie que très rarement depuis sept ans. Les quais de Seine m'apaisent profondément.
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Il y avait surtout la sensation de leurs appartenir. Quand il y avait quelques voiliers, des cordages au bord et des voiles baissées. Quand il tenait ma main et qu'il ne la lâchait pas.
[quais de Jussieu, samedi 8 août 09]
Lundi 10 août 09.
Le réveil était difficile parce qu’il y avait encore les volutes alcoolisées dans le sang. Le réveil était difficile parce qu’il y avait encore les bribes de conversation avec Jo. et Miss Cate sur ma conscience. Sur mon côté raisonnable qui prend le dessus sur tout ou sur beaucoup trop. Le réveil était difficile parce qu’il y avait encore les traces du sourire de ce joli blond, provincial – et ça se voyait si fort qu’il l’était – rencontrer au bord des arènes de Lutèce. Le réveil était difficile parce que j’avais entendu jusqu’à tard dans la nuit le son de son didgeridoo et j’avais eu envie de Danser, pas seulement à cause du rosé ou du Lambrusco, des quatre bouteilles qu’on s’était enfilé à quatre, envie de Danser parce que le son produit laissait passer un fil monocorde et volatile qui maintenait constamment en mouvement. Comme un soir de défonce.
Le réveil était difficile parce qu’Antov m’avait donné rendez-vous devant Notre-Dame bien trop tôt pour un dimanche matin.
Le 04/08/2009.
On se dissout du temps qu'il reste à vivre et de celui pour pleurer. Les âmes portent leurs origines dans leurs veines et je pourrais rester là des secondes entières encore à écrire sans réfléchir au sens que je voudrais bien donner à mes mots.
Les deux jours passés ont été guidés au rythme des pauses clopes de la fille du 2ème étage, de la cantine le midi avec les jeunes de la boîte et des badges qui comptent nos heures de travail. Le monde de l'entreprise me paraît tellement ennuyeux mais si reposant. Reposant parce que je ne pense pas : à l'année prochaine, à que(s) Master(s) choisir et s'il faut vraiment faire un choix, à Antov, ces yeux bleus, son chapeau de paille, son Louvre, cette soirée, cette soirée il y a quelques semaines déjà, à Hugues qui me déçoit dans l'absence et parce qu'elle pèse, à Julien peut-être un peu aussi et en fait à ce putain de spectacle qui n'avance pas parce que je n'ai pas trouvé l'impulsion qui me rendra de nouveau créative. On me demande de rentrer des données, d'informatiser, d'archiver les dossiers, de traiter le courrier. On me demande, on m'explique, je fais. Elle dit que je comprends vite. Et je ne pense pas, (juste) à ce régime et la bouffe qui devient obsession.
Et le pire dans tout ça, c'est que j'écris ce texte foireux et merdique dans un bureau vide. Et que le temps coule encore et se cumule sur ma carte qu'il faut pointer quatre fois par jour.
Hier matin, au cinquième étage, j'ai entendu la voix de la sœur de Marich passer devant les portes de l'ascenseur. Et je l'ai vu passer en coup de vent. Je l'ai reconnue. Le ventre s'est serré. Le sang n'alimentait plus. Et comment je n'ai pas pensé qu'elle travaillait là! C'est plus tard que j'ai compris pourquoi j'avais atterri dans la boîte. A la pause de 16H, je me suis cachée derrière des mèches de cheveux quand elle est arrivée. Finalement, elle est venue, souriante, dans le bureau 620, me dire 'T’aurais pu venir me dire que tu bossais là!'.
Ici, là, ces déictiques me font hurler de rire. Oui physiquement je suis là bien présente, mais l'esprit est loin, il divague sans cesse à la recherche de cet ailleurs qu'il me tarde de choper par le cou.
C'est fou comme les gens se lassent et sont lassants. C'est fou comme le monde m'interpelle parfois. En ce moment cependant, ce n'est pas la peur du vide non. C'est cette envie de Paradis perdus dans les cimes des vagues à l'âme.
La lumière blanche fut. Je nais d'un amour naissant, d'une mélancolie prématurée. Je mourrai de trouille de n'avoir pas assez vécu. [18H11]
Le 29/07/2009, 22h12.
C’est une mission qui m’a été donnée. Une mission à accomplir peu importe comment, peu importe l’endroit, il n’y a que le résultat qui compte vraiment.
C’est vrai, ces chialeuses qui pleurent après le temps qui court trop vite et qu’elles n’arrivent pas à rattraper, ces fillettes qui ne voient que la vie qui va mal, j’en fais partie. Ces mots qui tirent sur le mielleux, imbibés d’un peu de romantisme à l’eau de rose des filles doivent cesser parce qu’ils ne sont, paraît-il, pas aussi sincères que ça.
C’est vrai, je n’écris plus en ce moment. Parce que je me cherche. Je me suis paumée un soir d’été, avec ces mêmes enfants depuis quatre ou cinq ans, je me suis paumée une nuit de janvier sous ou peut-être sur le corps de Pablo que j’ai consommé seulement à petits feus, je me suis paumée pendant les nuits d'urgence des révisions, et un autre jour dans un début d’après-midi d’avril, dans mes 22 ans qui, je persiste à le ressentir, ne font pas le poids face aux 17.
Je fais partie de ces filles et pourtant je me sens de moins en moins comme elles. Le Flower power est passé je crois. Il date un peu maintenant. Et je ne sais pas bien cet état qui le remplace, je ne sais pas s'il est mieux, je crois que si au fond. Mais il est difficile d'accès. Au moins au départ.
Août - 1ère semaine.
Je me déjoue du temps qui passe en faisant semblant que l'été est bien là. Les autres rient et pleurent en donnant raison aux oiseaux. Je flirte avec les arbres qui se balancent en douce parce que le soleil inspecte nos peaux chaudes. C'est un mois d'août à ne pas vivre encore dans la solitude de l'été, ne pas se retrouver seule dans le 22m² jaune poussin qu'il faut que je change et camouffle et fasse disparaître. Juste arriver dans les fins de soirée, laisser le volet ouvert et entrer dans ce lit que je n'aime plus.
Je pense à lui beaucoup trop. Au garçon qui pourrait tout changer je le sais, je le sens. Et s'il doit partir dans un an pour (re)trouver les Aborigènes, alors tant mieux. Il y aura des pleurs peut-être. C'est comme ça que se terminent et commencent les histoires chez moi. Avec une échéance. Celle d'une année de terminale qui se termine et deux villes qui se séparent, celle d'un été qui arrive ou une rentrée qui commence. Avec lui ça pourrait-être celle d'une année étudiante à l'étranger. Sans contrefaçon, je pourrais le suivre. Non pas parce que nos rêves sont les mêmes. Mais parce qu'on ne peut les réaliser qu'au même endroit tous les deux. Une fois là-bas, on ne serait peut-être plus rien. Nous ne sommes pas encore grand chose. Peu importe peu importe. J'imagine déjà la peine, l'abattement et l'absence qui pèseront après. Si je ne pars pas avec lui. Mais je sens bien. Qu'il pourrait combler mon manque de négligence.
J'ai honte. De ressentir depuis quelques jours qu'Antov pourrait combler beaucoup plus mes attentes qu'Hugues ne le fera sans doute jamais avant qu'il ne murisse. Mais il ne faut pas se voiler la face. Les autres n'y croient pas ou peut-être plus. Hugues et moi, c'est intemporel et évident. Parce que l'Idéal, je l'ai toujours trouvé là où je ne l'espèrais pas, dans aucune case, dans rien de ce qui me parle. Il est un mon Idéal parce qu'il est justement incapable de voir ce qu'il me faudrait vraiment. Ces courses permanentes après mes amours impossibles m'essoufflent mais sont éminentes de sincérité. Elles sont les seules à battre vraiment. Matthieu disait que ma relation avec Hugues l'exaspèrait. Et aujourd'hui elle ne me transcende plus. J'aspire à du neuf, un truc bourré d'oxygène mais surtout surtout quelque chose de concret à construire : un amoureux, un ami, un projet. Antov peut-être.
J'ai hâte. Hâte de me lancer. Il y a longtemps que je ne me suis pas prêtée à l'exercice de la séduction. Sentie le regard d'un interloqué par l'envie entre les lignes. J'ai hâte de bien d'autres choses encore. Et ça tape déjà à l'intérieur.
[Nos 18 ans, *Théo Frilet*]
Samedi 26 juillet 2008, 19h26.
Samedi 19 juillet. Le train en partance. J'ai froid et mon nez coule. Ce dernier quart d'heure aux abords de Paris avec cet homme étrange dans le même wagon. Sourire incontrôlé en descendant du train. Il y a eu cet après-midi chez Miss Cate. Elle a l'âge de mes parents et pourtant. A chaque fois je sors en sourire. On a forcément parlé de cinéma, de littérature. Les allées du Père-Lachaise m'inspiraient des images à mettre en boîte. Des nuits malsaines coupées en scènes. Des longs plans séquences qui dévalent tous ces noms gravés dans le marbre. En rentrant chez elle, j'ai décroché un poster des BBB dans un café. Et puis il était presque déjà nuit. Le bar était construit dans un immeuble. On a rencontré ces jeunes israéliens qui faisaient tous des études dans le cinéma : réal, producteurs. J’ai parlé « anglais » toute la soirée. J’ai embrassé l’un d’eux. Comment s’appelait-il déjà ? Fernando, Francesco ? Je ne me rappelle plus. On a laissé partir le dernier métro devant nos yeux. Trop. J’ai erré dans les rues du 11ème avec de l’alcool dans le sang. On a marché pour rien. Juste pour profiter de Paris, de l'air de juillet. Il y a eu cet appel de Pablo à 2h35. Ce dernier appel. Il voulait que je traverse Paris pour le rejoindre dans son quartier bobo. J’ai raccroché. On a tenté de retrouver notre chemin. On a longé le grand Boulevard Richard Lenoir. Et puis. On devait être 7, à peu près. J'ai fait du thé. On a déplié tous les semblants de lits.
Dimanche 20 juillet. Le lendemain matin, en enfonçant mes mains dans les poches, il y avait cette carte de visite d’un photographe rencontré à la soirée. Il m’avait offert un verre et avait voulu s’inviter chez moi. J’étais restée calme d’ivresse devant ces mains baladeuses ; ces mains qui s’enroulaient contre mes vêtements. Miss Cate m'avait donné rendez-vous au cinéma près d'Odéon. Devant l'écran, ce jeune acteur igné et étonnant. Je pensai à Paris, je pensai à Klapisch. Et je ne me souvenais plus de cette sensation d'excitation, réellement, à la sortie de ce film. Je l'ai redécouvert doucement avec Nos 18 ans. J'ai toujours aimé les films sur l'adolescence, sans doute parce que j'aurais aimé vivre la mienne un peu différemment. J'ai toujours eu la sensation de ne pas m'être amusée comme j'aurais dû. Ou comme j'aurais pu. Le personnage de Lucas me faisait penser à Julien. Vaguement. Pas pour la vivacité du personnage. Pour cette autre chose.
Il y a eu ce concert pour la paix. La Tour Eiffel à notre gauche et Ingrid et cet homme de gauche à notre droite. On s'est allongé dans l'herbe avec T. en fermant les yeux. J'ai tenté de comprendre Pablo. On a presque failli se jeter à l'eau. J'ai tenté de comprendre pourquoi on allait se louper de peu. Je n'aurais sûrement pas pu de toute façon. Peut-être qu'aujourd'hui il a raison. Peut-être qu'on n'a pas autant de choses en commun finalement.
Lundi 21 juillet. J'ai semé mon propre trouble et le bruit du vent venait buter tout contre mes joues. Sur les marches de nos errances adolescentes. Je remontai le long des pavés de Mouffetard comme si c’était la première fois. Avec cet émerveillement et cette peur des sentiers perdus des premières fois. Je me suis arrêtée sur les marches du Panthéon, sandwich libanais à la main. Je me suis assise au Jardin du Luxembourg, devant la grande fontaine centrale. Zeller entre mes deux mains. Toutes ces ressemblances qu'on aime trouver en lisant son auteur. Deux heures peut-être trois, peu importe, perdues dans le cœur du Vème arrondissement.
Mardi 22 juillet. J’ai rejoins Jo. dans son quartier. On s'est assis dans ce nouveau bar. Il parlait d'Oléron, me faisait penser à un personnage de Thibaut de Montaigu. J'étais sûre qu'il avait beaucoup écrit là-bas. Au bord de la mer transparente qu'il disait. 18 jours que je n'avais pas fumer. 18 jours que je n'avais pas ressenti Paris battre contre ma poitrine. J'ai respiré un des meilleurs parfums de Paris : ce café noir sans sucre mêlé à une des Dunhill de Jo.
Samedi 26 juillet. Et puis une semaine est passée dans mes artères. J’ai pris les sourires d’enfant en cours. Je reçois des emplois du temps, je reçois des lettres d’une nouvelle fac parisienne. Elle me confirme des acceptations, des demandes d’équivalence. Sciences politiques, le concours d’entrée en Info-Comm. Il est possible que je brade mon Université gauchiste dans laquelle je me sens si bien pour cette Fac réputée pour être à droite, bien à droite.
‘J’ai ouvert le fenêtre, et j’ai fumé un de ses cigarettes. Je l’ai fumée malgré mon asthme, je l’ai fait avec application, sans savoir pourquoi, mais avec l’impression d’accomplir quelque chose d’important’. Zeller, Le commencement de la fin.
26 août. J'ai souhaité un bon anniversaire à Antoine malgré.
26 août est ça fait trois mois. Trois mois, jour après jour, que sa peau a quitté la mienne. Un jour de plus, 27. Et il y a cinq mois. L'alcool nous écroulait au sol. Anne n'avait pas mangé, bu beaucoup. Je commençais à l'appeler Jude. J'avais chopé Clément devant l'escalier du Gibus. Je l'avais abordé un peu vivement. Pendant quelques marches. Et il m'avait embrassé tout en haut, à l'extérieur. Peut-être 10 minutes après, 15, 20. Je ne mesurais déjà pas le temps. Tu te rappelles de cette nuit improbable? Tu te rappelles que tu avais fini le rhum et le riz en rentrant. Tu te rappelles comme on avait parlé jusqu'à tôt dans la nuit, cette première nuit - on ne connaissait de l'autre que le prénom, et le groupe, qu'il avait fallu coucher Anne juste à côté, que le matin je n'étais pas allée au cours de Jazz. Et que ça bourdonnait. Tu te rappelles de ta toux sèche et de tes cigarettes au bord du lit. Tu te rappelles que je te prenais pour ce rockeur androgyne-introverti-au-blouson-de-cuir. Et pourtant. Rien de tout ça. Juste le blouson noir. Tu te rappelles comme on ne s'emballait pas. Tu délies tes doigts en enchaînant les gammes et les partitions de Ray Charles. Ton corps éthéré. C'est juste à l'intérieur que ça foire un peu. Mais tu t'y es fait. On s'y fait. Les premiers jours, quand on s'apprenait, je pensais que tu aurais dû vivre quelques décennies plus tôt. Tu ne connaissais pas ces chanteurs de variétés actuels, sans parler des séries télé. Tu avais cette allure décadente et ce je m'en foutisme insaisissable. Je ne l'ai pas saisi. Juste quand j'ai compris que si, ça pouvait être grave avec toi.
Mardi 12/08/08
J'ai des envies de cigarettes et aussi de me jeter à l'eau. A l'eau de ces histoires qui paraissent fines comme ça, comme la pluie de septembre, et qui pourtant laissent des traces d'humidité juste là. Tu sais au bord des yeux. J'ai des envies de cigarette, des Lucky Stricke et je sais que ça n'est pas bien. J'ai envie de m'enfumer, de m'envoler en fumées incandescentes et presque malsaines. J'ai envie d'un univers bombé par la chaleur de corps en transe. J'ai des envies douces et sereines. L'excitation de la rentrée me hisse à la renverse. Cette envie, ce besoin de voir comment ça va se passer l'année prochaine. Dans un mois et demi. Dans un mois. Dans 20 jours. Le 29 août. Je ne sais pas sur les bancs de quelle(s) Fac(s) je m'assiirai, je ne sais pas quelles matières j'écouterai. Je ne sais pas et je n'ai presque jamais été autant paumée. Je sais juste que je n'ai pas rendu les clés de mon appart. Inutile de tracer un parcours prédéfini. J'envisage juste le DE, la formation de notation, les trois licences, le master - d'ici trois ans. Peut-être quatre. Et après ça, peut-être que je serai heureuse. Je suis une carriériste - je crois. Je le suis. Et rien n'est séduisant là-dedans. Je le suis et je n'y peux rien. C'est comme ça, incontrôlable, comme ces tocs qui me bouffent une énergie de dingue. Je suis une carriériste et pourtant il semblerait que je ne sache toujours pas où aller, où je serai. Même si au fond, ce que je veux vraiment.
[Eiffel, tu vois loin]
Juillet 2008.
Il y a cette première semaine de juillet. Je viens de quitter Paris. Fin d'année scolaire à peine, le début du centre. Et puis préparer le spectacle de la Compagnie en même temps. Le bus d'enfant se gare sur la grande place en fin d'après-midi. Et moi je cours à la salle de Danse. En arrivant à la répète, ne pas se poser de question. Se mettre en culotte, enfiler un pantalon de Danse et y aller. L'échauffement est le marquage. Mon solo est difficile à passer ce soir. Pas d'appuis, peu d'interprétation, la respiration qui me manque et les jambes qui flageolent. Le corps à deux doigts de lâcher. Vraiment. Accepter que parfois, on Danse dans une forme latente.
Un jour je fais des cabanes dans les arbres avec eux. Ils m'écrivent des noms de codes au feutre sur les bras. Et le lendemain, cette petite qui m'insulte, moi et d'autres animateurs aussi. Cette petite qu'on n'arrive plus vraiment à gérer. On ne l'a pas revu. Mes yeux se ferment les uns après les autres. Je sens mes bras ballant le long de mon corps qui subissent le moindre mouvement. Ca faisait longtemps que je n'avais pas ressenti cette fatigue. Cette fatigue au point de ne plus me plaindre. De faire silence. L'esprit occupé pendant ses quatre semaines, l'esprit et les mains et la voix. Je divague juste un peu vers Clément. J'y pense presque moins. Tout retombera quand je changerai de centre. Tout retombera, tout reviendra. Je le sais. Ca se sent depuis juillet. Je me revois lire Rimbaud aux petites filles à la bibliothèque. Je leur ai déclamé Sensation, Marine, et Aube bien sûr. Elles récitaient Voyelles avec moi. Et j'aurais voulu trouver Roman - je ne le connais malheureusement plus par coeur. Je les entends encore applaudir à la fin de chaque poème, de la lettre à Théodore de Banville. J'y mets le ton parce que je veux qu'elles sentent la beauté des mots. On fait de grande sortie et on arrive déguisé le matin. A travers les vitres du bus, je regardais l'horizon. Il me semblait si proche, au bout de cette montée. Et si inaccessible en même temps.
Il y a un peu le sourire, parce que l'animation est revenue au moment où je m'apprête à changer de centre. Une direction, une équipe, des batailles d'eau à chaque goûter. Des bracelets scoubidou au poignet, des yeux qui se ferment sans autorisation, de la peinture qui ne part pas sur les ongles, et sur les vêtements bien sûr sur les vêtements. J'ai pris mes marques et il paraît que je suis toujours une bonne animatrice. J'empile les dessins d'enfant dans une pochette. Centre - Juillet 2008. Derrière leurs couleurs il y a : Pour Lucie, Eugénie 8 ans 1/2. Par exemple.
1er août - Juillet s'est terminé avant-hier. Hier en vrai. Les yeux dans le décor. Tous ses enfants qui me demandent où j'ai passé la matinée en me faisant des bisous mouillés sur les joues. Ce petit garçon qui passait son temps à écrire des histoires de Spyro dans son cahier de brouillon. Et son copain, le petit merdeux qui m'aimait beaucoup, je crois. Vouloir les serrer dans mes bras et ne pas les lâcher. Plus fort que d'habitude. Ses enfants que je n'avais pas aimé l'année dernière, et pourtant cette année qui. Quand j'étais petite, il était souvent écrit sur mes bulletins élément moteur de la classe. Elle m'a dit ça en gros je crois. Une vraie place dans l'équipe. Beaucoup de compétences, à la fois pour ta franchise quand tu as quelque chose à dire, à la fois pour ta créativité et tes propositions. Un côté décalé mais qui tombe toujours très juste. Et puis merci d'exister! Ne pas savoir comment ravaler mes larmes pour qu'elle comprenne les mercis que je lui faisais. Cette directrice m'a serré dans ces bras à la sortie du bus. J'ai cru comprendre qu'elle voulait de moi pour les prochaines vacances.