L'eau du fleuve reste calme alors que le froid, inhabituel ces derniers jours, recommence à me pincer les lèvres. Je resserre les bras. Les poissons plongent et ils brisent le calme de ce début de nuit. Il me parle du foot comme je pourrais lui parler de la Danse. Et on se comprend si bien, je crois. Sa présence est lénifiante. Son amitié me berce aussi, même si. Même si elle est faussée par ce truc dans le bas du ventre. Je sais que ce n'est pas le moment, que j'ai mal joué, que la carte de l'amitié est entrée un peu trop dans le jeu. Je tangue, je suis au bord. Il m’anesthésie, impossible d’en parler. Alors je tiens le silence par la main, je souris bêtement. C’est mieux comme ça. Et je n'y crois pas une seconde. * Je me suis pris au jeu de ce concours de nouvelles. Le sujet ne m'intéressait pas plus que ça, et les mots ne me venaient pas. « Vous l’avez écrit toute seule ? J’ai été agréablement surprise… ». J'ai reçu "la date de remise des Prix", et j'avoue être une impatiente silencieuse. Parce que je me rends compte que c'est le seul cours auquel je vais avec plaisir. Les autres sont absents de mon emploi du temps pour la plupart. La semaine se termine à toute vitesse, et j'ai un énorme retard dans mes révisions. Les dates de partiels s'approchent, et ne rien savoir me stresse. Parfois j'aimerais tellement faire un saut jusqu'à la rentrée prochaine. Constitué un nouvel emploi du temps, redevenir une vraie étudiante en Lettres, ne pas longer les couloirs de la Fac en pointillé, de temps en temps. J'ai l'impression de n'être que de passage dans ce deuxième semestre et je déteste tellement faire les choses à moitié. Il ne faudrait pas, mais je pense au rattrapage. Shopper une deuxième chance en vol. Se donner le droit à l'erreur. C'est ce qu'ils m'ont dit pour les évaluations. Je n'ai pas surpris en Dansant, pas vraiment souris, ou faussement. Prendre du recul. Tu es une acharnée Lucie. Peut-être trop académique parfois mais parce que tu veux y arriver, ça se voit. C'est déjà ça. Je suis déçue de moi, comme une môme de 4 ans. Inefficacité de cette fatigue incontrôlée et incontrôlable.

Ce soir, je fêterai mes 20 ans alternatifs. Il ne restera sûrement que 17 bougies. Le pouvoir des chiffres se mesure à celui du temps et ils ont le don de coincer une boule dans le ventre. Mais ce sera avec eux, en avance, alors la chute sera moins violente. Je commence à tracer des bilans, des traits aussi. Bien gros, bien noir. J'ai pris mes 19 ans dans la gueule cette année. Malgré moi, j'ai dû suivre le rythme de ma propre vie. Et je crois même que j'ai appris à mûrir. Je pense au futur autrement qu'en regardant les nuages, j'imagine des projets, du concret un peu rêveur soit. Je m’essaie aux responsabilités, j’organise, je souffle, je bois du café noir, je dors peu, j’allume la télé, je remplie des pages avec du bleu, et des partitions avec des mouvements, je sors peu, je bois parfois et ça me saoule de plus en plus en vite, je fume [un peu], j’aspire du vide, j’envoie des bulles de savon dans le ciel je rentre tard je raccroche je m’accroche aussi les cheveux humides les douches sans eau l’air du printemps et les notes dans les oreilles les métros en continu. Et puis toutes ces pages tournées, les livres refermés sur un suivant, et mes pinces à chignon en marque page. Mais ça colle. Je vieillis peut-être dans le bon sens…