J'ai mis suffisamment de noir sur mes paupières. J'ai enroulé la longue écharpe bleue autour de mes joues. J'ai fait claqué mes bottes dans la rue piétonne. J'ai même laissé mes gants arc en ciel dans ma poche, juste pour sentir un peu l'air contre mes doigts. Parce que ça n'était pas arrivé depuis longtemps.
Et puis je suis allée voir leur répète. Je me suis déchaussée. Je suis entrée dans la salle de Danse, eu droit à de légers bisous humides sur les joues. Ceux des filles. Celles qui me manquent. J’ai pleuré à l’intérieur, parce que les deux ballets sont étonnants. Parce que je ne les danserai jamais en entier. J'ai repéré les passages qui m’auraient plu plus que d’autres à Danser. Ceux qui m'auraient fait vivre jusqu'aux ongles. Les parties techniques qui s'enchaînent devant mes yeux. Et la chorégraphie qui évolue un peu plus, à chaque fois que je rentre de Paris. Je les vois tourner, passer d'un retiré à un tilt. Et moi, moi je m’imagine déjà en train de les aider à s'habiller et se déshabiller les deux jours du spectacle. Parce que je ne serai plus celle qui encombre le plus le programme du gala. Celle qu'on voit le plus souvent sur la scène. Mais. Vendredi, samedi, j'ai toujours droit à un accueil particulier. Y’a celles qui quittent les explications de Lidy pour venir m'embrasser, y'a les "ah y'a Lucie". Y'a même celles que j'ose doucement corriger silencieusement du regard au bout de la salle. Y'a Lidy qui me donnent toutes les nouvelles de l'association quand elles marquent les chorés. Me sentir comme une herbe fraîche sur l'asphalte. Juste parce que j'aime l'odeur de la colophane sur les chaussons. L'odeur de l'eau qui est posé sur les fenêtres. L'odeur des pulls à côté des bouteilles. J'aime les voir sourire, me sourire un peu aussi.
Mon après-midi s'est terminée au milieu de leur bras. "Viens on va se payer une pâtisserie et un coup au café, parce qu'on ne te voit pas souvent!". Alors je me suis laissée entraîné en souriant. J'ai retrouvé une place devant un diabolo violette et les tartelettes aux fruits n'ont fait qu'une bouché. Ma religieuse au chocolat que Ch. a terminé. Parce que c'est trop consistant ! Parler de la Danse, des auditions, sans me justifier, elles comprennent. Et puis dans la voiture de A., on a refait un peu le monde avec des mots de filles au coin des lèvres. J'ai siroté leurs yeux pétillants.
J'ai tenté la recette au curry d'Estelle et je crois même avoir impressionné mon père. Parce que la cuisine et moi... ça fait décidément 12. Pas hier soir. Et puis notre quatuor s'est réuni vers 20h15 devant ce hall qui a réunit tant de nos samedis soirs les années de lycées. Forcément toutes les places de cinéma avaient été vendues. On est resté quelques minutes a embrassé ceux de l'année dernière. Ceux qui me manquent. Ceux qui ne m'ont même pas regardé dans les yeux en me claquant deux bises sur les joues que j'étais venue chercher par politesse. Et on sent cette jalousie qui crie fort "toi, tu as eu ton bac". Y'a eu ceux qui m'ont fait sourire. Et ceux qui m’ont demandé « et toi, comment ça va ? ». Tu me manques Thomas, toi, et les cours d’anglais qu’on passait à pleurer, à ne pas écouter, ou pas vraiment beaucoup, à faire semblant d’être intéressés, à refaire nos vies. Depuis la maternelle. Quand on se demandait le vocabulaire aux interros. Qu’on l’écriavait sur nos copies en gommant très fort pour ne pas laisser la moindre trace.
Autour d'une plaque de chocolat blanc, dans mon salon qui sent encore Noël. Parce que. En dessin devant nos yeux, il y avait ces images de la télé réalité. On en riait parfois. On s'est rappelé nos premiers baisers, nos pseudo petits copains et copines. Ceux qu'on voudrait ôter de nos mémoires adolescentes. Ceux qu’on n’a pas vraiment oublier. Encore. C. m'a dégoûté du bizutage des vétos. S. m'a parlé de celui de médecine. Et Vi., la tête dans la fatigue, les mots qui s’échappent en souriant doucement. Lui dans sa prépa parisienne. Je me suis ressourcée dans leurs yeux. Ils se disent que le collège et le lycée ce n'était rien à côté de maintenant. Oui, mais moi, mon maintenant est dépeuplé de partiels, d'examens trimestriels, d'interros. Alors quand ils sont partis, je suis restée avec Vi. Après un « ils n’ont pas changé ces deux-là, ce sont les mêmes que l’année dernière » « Et nous, tu crois qu’on a changé ? ». Mon orientation comme sujet de conversation. Prouver encore une fois. Avouer en vain que oui je flippe, que oui je suis perdue parce que peut-être envisager des études sûres, vous savez, celles qui ne sont pas aléatoires, comme la carrière artistique. Subodorer un double cursus sérieusement. Et je m'en suis voulue. A en pleurer dans mes draps roses après, à ne plus en trouver le sommeil, à me jeter sur la musique. Et je me suis dit que j'étais une petite conne de me noyer dans l'ignorance. De penser à mon avenir dans le flou.
Ce soir, j'ai appris que mon mot Passion venait du latin "patior" signifiant souffrir, éprouver, endurer. Ca encombre le ventre la Passion, ça l'habite, ça ne laisse que très peu de place pour les autres. Et en ce moment, j'ai envie de vomir. Pas à cause de la Danse, mais à force de la légitimer. Je n'avance plus. Cette période un peu poignante, cette absence d'esprit. Ce néant total.
Y'a les flocons de neiges liquide qui sont venus mourir contre mon velux. J'ai gardé mon pyjama toute la journée. J'ai soupiré en moi l'humeur de l'hiver.
[La nuit je mens, Alain Bashung]
d'estrade en estrade
j'ai fait danser tant de malentendus
des kilomètres de vie en rose
Commentaires :
Re:
Les décisives, aïe, je suis mal barrée. Et cette année entre parenthèse... si j'avais pû. Peut-être que le temps de se réveiller est arrivé tout simplment. Et il faut dire aurevoir à Peter et aux autres. Et wow, j'ai du mal à tomber, dur la chute...
Re: Re:
Passion
Loin de la linguistique et de l'étymologie, la "passion", ça veut dire souffrance, certes, mais force aussi.
La force de souffrir par amour...
La force d'avancer, d'essayer, de tenter le coup...
La force de prendre le risque.
Un risque qui peut faire tant de mal, oui, bien sûr...
Bien sûr...
Et si c'était cette même force qui t'emmenait briller sur scène???
Ta passion c'est ta force. (ça fait un peu série B cette phrase, quand même!!)
Même quand tu doutes, même quand tu te poses des questions...
Enfin, c'est ce que je pense...
Hang in there
Re: Passion
De tenter le coup, de prendre le risque, c'est tout a fait moi en accord avec la Danse. Mais en ce moment, ce n'est pas vraiment le cas. Tant de mal. Aux parents, à moi...
Et si c'était cette même force qui t'emmenait briller sur scène???... oui, je pense en effet que la Passion vaut bien plus qu'une superbe danseuse qui est techniquement parfaite!
Ma passion c'est ma force, c'est loinde faire série B. Au contraire, j'ai besoin qu'on me le rappelle en ce moment. Alors merci ;)
C'est peut etre con a dire, mais je vois tout a fait ce que tu veux dire, et en lisant ta phrase, je sens tout de suite cette odeur, l'odeur si particuliere que renferme chaque salle de danse.
Un peu comme une madeleine de Proust.
Re:
L'odeur si particuliere que renferme chaque salle de danse... Encore plus con à dire, mais je sens très bien dès quelle odeur tu veux parler...
alors euh juste la madelaine tu m'expliques stp? (la blonde que je fais aïe)...
Merci d'être passé apr ici... petite danseuse...
J'aime.....
Décidement, j'aime te lire....
Ces sentiments que tu décris, que tu ressens, que tu illustres en racontant ta journée...
Je devine en toi quelqu'un de formidable.
Tes doutes, tes sourires, tes mots, tes joies, tes amis... Tout est superbe.
Quant à ta passion, vis-la!
Pose toi des questions (car il faut s'en poser) mais continue à vivre ce que tu aimes!
Moi, j'ai une passion et je crois qu'il faut toujours en avoir une. Tout le monde devrait en avoir une. Alors, quand on peut la vivre comme tu le fais, c'est génial!
Je t'embrasse petite Passionnée....
( J'ai adoré cette phrase: J'ai siroté leurs yeux pétillants )
Re: J'aime.....
Je devine en toi quelqu'un de formidable
Non seulement ta présence ici me fait toujours très plaisir, mais en plus recevoir ce genre de compliment quand on ne s'y attend pas. Alors merci. Beaucoup. Tout est superbe, oula non loin de là, je dois dire qu'en ce moment, et ce depuis quelque temps, je cherche beaucoup mes mots... Mais j'accepte une fois de plus le compliment avec beaucoup de réserve, mais avec un grand sourire...
"Quand on a la chance d'avoir trouver sa voix, on peut s'estimer heureux." Je me demande pourquoi les personnes qui ne sont pas passionnées par quelque chose vivent... Ca a toujours été un grand mystère pour moi.
Plein de bisous
Quelques larmes qui s'échappent...
De la douceur dans les mots...
Merci pour ce texte...
Diabolo violette et religieuse au chocolat ! Rhoooooolala ! Miam !
Encore une belle oeuvre d'art :)
BiZoOo
ciorale
Et là, c'est un peu pareil chez moi. Parce que pour l'instant, l'avenir reste flou. Mais çà ne durera pas longtemps. Il faudrait trouver quelque chose à répondre. Arrêter de se dire que j'ai encore le temps. Mais c'est dur de se retrouver face à soi-même. De se dire que... malheureusement, le pays imaginaire n'existe pas aux yeux de beaucoup de monde; Et c'est dommage. Un coup de stress. Parce que bientôt. On dit que c'est les plus importantes années de nos vies qui vont défilées. Les décisives. Et çà fait peur. Quand on est pas décidée... ;)
Ce sont les larmes du ciel qui sont venues mourir sur mes vitres cet après-midi...