Seulement cinq jours loin de Paris. Et c'est Rémy qui me manque le plus dans tout ça. Je ressasse les souvenirs, parce que je n'ai que ça à faire. Je suis encore dans le vague. Depuis l'opération.

Ca me manque ces soirées. J'ai dans la tête jeudi soir. Quand Estelle et Louis sont venus. Et puis cette soudaine envie de fumer de s'évader un peu. Dans le flou de la vie. Il a fallu aller chercher la fille de l'autre classe devant l’arrêt de bus, Karine, qui dormait chez moi pour répéter la scène de Sex Intention. Alors on était "juste bien". Dans le vague de la fumée qui sortait de nos bouches. J'ai encore une fois commencé un repas qu'Estelle a fini par terminer. On a appuyer une nouvelle fois sur le briquet. Je me suis allongée sur ces genoux, expirée l'herbe. Et quand Louis me poussait, je riais. A bon entendeur. La soirée au ralenti. Et là on se sent bien, calmé. Et c'est con. La jeunesse est conne de se sentir bien comme ça, grâce à ça. Laisse moi la dernière taf, jusqu'à m'en brûler les lèvres. On tirera fort dessus. Je sentirai mes pupilles se dilatées, mes yeux tombés. On a mangé, Estelle est partie puis Rémy est rentré de son concert. Alors Louis s'est moqué gentiment devant lui. Il a ouvert mon frigo, s'est servi du jus d'orange. Et moi je voyais Karine me lancer des regards subreptices.

Vendredi soir, la chandeleur m’a amené à passer l’huile dans la poêle de Rémy. Et puis le sucre qui se dépose sur les crêpes, celles qu’on fait au gruyère–tomate-ketchup. Et qu'il me fait goûter, ma bouche s'approche de ses mains qui tiennent celle qui dégouline. Les canulars enfantins sur son PC. Posée sur ces genoux, les facéties défilent devant mes yeux désintéressés. J’avais l’impression d’avoir à faire à des gamins de seize ans pré pubères.  Mais c’était drôle. Et bon de me sentir si proche de lui. Quand il accroché ma pince transparente à mon tee-shirt. Alors qu’en fait, il y avait juste ce manque de place. Les autres sont partis se coucher. Et j’ai renfilé ma veste zippée noire. Il s’est assis sur son bureau et s’est adossé au mur blanc, on a refait les commérages de la résidence. Je me suis vue devenir copine avec lui. Force est de reconnaître que ce n’est pas ce que je veux. Dans le meilleur des choix que la vie me propose.

« -Tu pleures ? 

-Non, ce sont mes yeux qui coulent… Je ne voudrais pas pleurer devant toi !

-Ben pourquoi pas ? C’est qu’avec le reflet de la lumière, je vois bien tes yeux qui brillent. »

Oui en fait j’aurai voulu pleurer. M’arracher ces foutues larmes qui traînent dans le corps depuis quelques semaines. Cette façade que je sais si bien tenir. Que tu me serres fort, que tu trouves ce moyen d’afficher un vrai sourire. Alors je me serai pendu à ton cou et tu m’aurais caressé doucement les cheveux. Ta main serait passé le long de mes joues humides, les aurait séché, et puis j’aurai baissé la tête. Mais au lieu de ça. J’ai fait semblant de rire. J’ai porté un jugement sur cette pseudo relation que tu as eu avec « la belle fille de l’Est ». Et puis, juste arrêter de se dévaloriser et avancer la tête haute. Facile à dire quand on a 21 ans et qu’on a eu trois ans de plus pour avoir acquis cette confiance. Alors il y a eu ce compliment qui me colle au cœur, qui m’appartiens pour toujours et que je n'ai pas osé relever. « T’es une fille très bien ». J'ai baissé la tête et pas su quoi répondre. Parce que venant de lui. De sa bouche que je rêvais de décrocher. A une heure du mat’ j’ai glissé deux bises sur tes joues, et puis je suis partie à l’étage du dessus en faisant valser mes cheveux longs. Ca me durcit le coeur que tu ne t'en doutes pas plus.

Vingt ans que j'attends seul
dans ma chambre
j'ai jamais rien fait de bien,
jamais rien fait de mal
j'veux pas rester là
j'veux pas rester là
je sais que tout s'en va
que tout s'ra chaque jour plus froid
mais avant j'veux t'apporter mon amour

[T'apporter mon amour, Raphaël]