Des souvenirs devant. En ce moment, il n' y a que Pablo qui me maintient dans le présent. Et encore. Je sais qu'il y a mes années qui me raccrochent au lycée et les siennes qui le rapprochent de la vie active. Je reviens chez moi, je retrouve mon lit, mes draps lourds. L'odeur bazardeuse de ma chambre. Les mêmes posters qu'il y a un an scotchés sur les murs blanc salis. Les mêmes livres sont posés sur l'étagère verte un peu poussiéreuse. Les mêmes photos sont sur mon bureau. Et des nouvelles. Je la connais par coeur cette chambre. Des pinces à chignon sont sûrement coincées entre les rainures du parquet. On peut même voir certains cours de physique dépassés des gros classeurs. A côté des stylos dispersés, il doit certainement y avoir les lettres que je n'ai pas envoyé et l'encre que le temps aura usé. J'apprends à vivre avec le même visage. Mes meilleurs amis sont les mêmes ou presque. Certains de mes jeans aussi. Je réécoute les mêmes chansons parfois. Je chante les mêmes refrains avec les mêmes regrets, et d’autres aussi. Une première journée de vacances et je culpabilise déjà de ne pas être sortie, d'être rester planqué sous ma couette ce matin, de ne pas avoir profité des quelques frais rayons de soleil à la place de mon linge.

Je me rappelle que j'écrivais dans mon agenda sur les pages du dimanche des mots qui me passaient par les doigts. C'était en dessous des tables d' SVT ou pendant les heures d'Allemand. Maintenant je n'ai plus retrouvé de carnet qui me fasse écrire sur du papier. Je n'ai plus de cours sur table. Et plus de stylo en main. On passait nos pauses près du radiateur, et le Printemps on était tous agglutinés devant une fenêtre, dehors. Les cours de langue sonnaient souvent la fin de la journée. On partait et on ne se retrouvait pas après les cours. On faisait juste le chemin ensemble. Certains à qui on disait au revoir au bord du pont et d'autres à demain en face du jardin public. J’attrapais un justaucorps et un pantalon serrant, un morceau de chocolat et la Danse m’attendait dans les vestiaires. Et quand je vais chez elle je revois mes feuilles blanches raturées, celles que j'apprenais pour le mois de juin. Celles qui tombaient en dessous de mon lit quand la fatigue m'avait gagné sous les draps et que je me réveillais avec la lumière ouverte au milieu de la nuit. Je me revois avec eux les samedis soirs au cinéma dans la petite salle. Et avec eux aussi sur les quais le vendredi après-midi fin mai. Ca me rappelle les soirs de mes spectacles qu'ils allaient voir, les biscuits qu'on mangeait avec M. en maths, Et ça me manque quelque part. J'aimerai bien revenir au lycée, faire plus la conne, profiter davantage. On aurait voulu jouer au bâton du diable dans la cours du lycée. On aurait voulu pouvoir profiter de l’herbe nouvelle en avril. On aurait voulu se sauter dans les bras le jour du Bac. Sans oublier les rancoeurs. Et je prends tout dans la gueule. En ce moment c'est comme si on me repassait le film en boucle. Qu'on n'oubliait surtout pas le générique et la chanson triste à la fin. Que le maquillage n'avait pas vieilli les acteurs. Que la caméra retournait les mêmes plans, que les lumières étaient les mêmes dans la pièce et que les prises de son étaient aussi difficiles à étalonner. Et je prends tout dans la gueule.

Paraît que j'ai rêvé de nous
Un peu à contretemps
J'ai dans le coeur un amour flou
Des images en noir et en blanc
Qui gardent une p'tite couleur à nous
Paraît qu'on a changé d'histoire
Dis rien, j'veux pas savoir

[Patrick Bruel, à contretemps]