La  fatigue acerbe qui glace mes membres, qui se confond aux cernes bleus de mes yeux et qui cherche à m’enfoncer loin dans le retard.  Je marche les yeux fermés, je lis un magasine chopé sur le présentoir de la cafète de l’école. Un magasine pour adolescente de 16 ans. Dire « Je t’aime », est-ce désuet, risqué ? Et ce sont de soi-disant jolis surfeurs bien foutus et sponsorisés par Kanabeach ou Roxy (bien que ces marques me fassent craquer…) qui sont censés répondre que non, ce n’est pas ringard si on le pense vraiment ! Une interview d’un chanteur de R’n’B qui retrouvera certainement son anonymat d’ici quelques années, les pages publicité, souvent très colorées, hyper jolies que j’ai envie d’accrocher dans mon 18m² ! Les parfums Eau Jeune, les tampons plus soyeux et la nouvelle mode. Je dors les yeux ouverts dans ce bus blindés. Alors quand notre prof russe nous laissera les heures de cours pour répéter les scénars de jeudi, on s’assiira sur les chaises en bois tous en rond, en petit commité, et on se dira que peut-être nous aussi on montera une troupe dans 15 ans. Comme Jugnot qui était dans la classe de Michel Blanc, et lui-même était copain avec Lhermitte et Clavier dans une autre classe. Alors on rêve un peu, on parle de la troupe du Splendid et on refait toutes les répliques cultes. Et puis il y aura aussi le papier sur James Blunt, assis sur une table bancale, on s’arrachera le magasine, puis la page gauche dans la main de Jo, la droite dans la mienne.

Arriver en cours des minutes après le début, après les échauffements même. J’ai envie de m’étaler sur du coton rose pâle, trouver une place dans un ballon de baudruche, et m’envoler loin avec lui. Disparaître juste pour quelques mois.

L’eau est chaude, je la brûle encore plus. Je n’ai sans doute pas pris de bain depuis plus de six mois. J’ai eu du mal à m’empêcher de ne rien faire. Se poser là. Trouver la tranquillité, ne pas bouger, ne rien penser. C’est compliqué. Je me suis noyée jusqu’au cou et j’ai même eu envie de ne plus respirer là-dessous. Parce que la musique en bruit de fond, derrière la nuque. La chaleur de mes doigts. Quand je bouge le va et viens de l'eau qui percute contre ma peau. L’eau troublée par le savon. J’étais bien dessous l’air ambiant.