Je joue à m'en faire saigner les doigts. Les ongles coupés, le souffle court, la voix qui résonne trop fort, le menton baissé, les yeux bandés, et les cordes trop courtes. Je joue depuis quelques semaines, et ça devient presque un morceau à quatre mains. Je joue et je ne suis plus seule à jouer je crois. Je joue la partition dans le désordre. Les portées se confondent, il n'y a pas de soupirs dans tout ça. Juste une mesure divisée en deux temps, et un tempo pas assez allegro dans mes mains. Je prends les clés au quart de tour. Je voudrais sauter des notes, que mes doigts dévalent son corps, que les doubles croches s'osent et se débinent. La tête posée dans la main, les yeux fatigués par le manque de sommeil, par la fin des vacances, par l'envie de raconter à Rémy, qu'il me prenne sur ses genoux. Parce que Pablo. Qu'il me berce sur lui. Qu'on analyse tous les deux. Qu’on décompose. Qu'on se foute du film qui passe devant nos yeux. Qu’on saute des pistes aussi. Que je me pointe devant sa porte. La valse me fait tourner la tête. Le jeu avance, ce jeu qui fait sourire d'habitude. Quand on joue avec les mots, et même avec le reste. Avec les mèches de cheveux qui cachent le regard désireux. Avec les mains pressées qui tapent les unes contre les autres sans faire exprès. Avec le futur proche surtout. Je bats du 3/4. Je ne sais même pas compter jusqu’à trois. Alors.
Deux c’est déjà embrouillé dans ma tête alambiquée. Et même que le soleil perçait mes yeux. Mais j’avais froid. L’écharpe enroulée comme une corde à mon cou. J’avais les yeux baissés vers l’herbe de plus en plus verte. Les bras croisés, le pull noir sur les épaules, le sourire dans le vent d’avril. Forcément j’ai voulu aller là-bas. Comme si le destin nous y emmenait encore. Comme si j’avais encore 17 ans. En passant devant le cimetière, je sentais la main d’Antoine agrippée ma peau. Et la faire fondre, la faire saigner, l’occire devant le fleuve qui vit placidement sans remous. Ce n’était que les feuilles mortes absentes des arbres, que la pluie qui ne tombait pas du ciel de mars, que les mûres pas encore sucrées de l’été, que ce vent qui n’aura jamais tourné, qui souffle toujours aussi près de nos joues.
[Yann Tiersen, Summer 78]
Commentaires :
Re:
J'ai un peu tout raté là, je crois. Il faudrait que je lise, avant. En tout cas c'est beau.
La deuxième partie me fait penser à du Maupassant. Le cimetière, la corde au cou, les mains qui saignent et le garçon qui n'est plus qu'un fantome.
Jt'embrasse fort.
Re:
Merci beaucoup. Même si tu n'as pas suivi, je suis contente que tu puisses penser un petit peu de ça...
Quant au rapprochement avec Maupassant, disons que là, si j'ai réussi à avoir quelques mêmes images que lui, je ne suis que d'autant plus flattée... A très vite, gbise...
Re: Re:
BzOo