Tu vois comme la page est blanche parfois. Etincelante mais blanche. Pourtant il faudrait raconté comme l'esprit déraille et s'achève sous un corps insolent, sous des sons de BB rockeurs parisiens - on y revient toujours.
Je vis détachée. Du printemps, des cours, des garçons, de ma propre vie. C'est la première fois. Et comme les premières fois sont toujours un peu bancales, je ne sais pas comment bien gérer. Alors j'ai une répartie un peu agressive parfois. Parfois je ne fais aucun effort. Je n'en ai pas envie. Je ne souris pas, je ne regarde pas les gens quand ils parlent. Je réponds à peine. Parfois je me mets à pleurer, pour rien, un chien qui meurt dans un téléfilm au mieux. Ca me rassurerait presque. Je pensais ne plus y arriver. J'ai l'impression d'avoir tellement changé depuis janvier de l'année dernière. J'étais bloquée dans mon corps. Tu t'en souviens? Comme je ne donnais pas pendant les nuits étouffantes? Maintenant, il y a des frôlements, des baisers ondulés, des gémissements insignifiants. Que du superficiel. Que des mains qui effleurent des corps avec force. Tout en surface. J'arrête tout - leurs élans leurs pulsions leurs mains leur chaleur leur violence - avant d'être démasquée. En réalité c'est juste que je n'ai pas envie. Pas envie d'autres choses que des caresses superficielles, faciles. Ils ne sont pas les bons. Ils ne m'ont jamais entièrement. Ils n'ont pas grand chose. Ils veulent plus parfois mais sont prévenus. Je n'ai pas envie, je suis détachée, complètement détachée. Clément l'était mais avec un dédain touchant et affectueux. Il l'était mais ça le rendait beau. Ca me rend insociable. Et je n'en fous, parce que je suis détachée. P-o-i-n-t.
Un an, il y a un an. J'ai vu la fin de mai arriver, ce 27 se casser la gueule dans des draps. En apparence, j'ai reproduit les mêmes choses, une soirée similaire dans les grandes lignes au moins mais l'autre n’avait rien de Clément. J'ai vu les premiers jours d'avril affrontés ce putain de détachement - parce que je ne peux pas dire autrement. Maintenant je vois avril défilé et repense à il y a un an - heure pour heure. Je passais un des plus beaux mois de ma vie, apaisant comme jamais, dans les bras d'un garçon aussi débraillé qu'un artiste du 19ème siècle. Surtout ne pas refaire le couplet des Beatles dans Bastille, des grilles de la place des Vosges, du Ragtime, de Ray Charles, du pull bleu en cashmere. Mais en ce moment, je tourne chaque fois la tête devant le traiteur chinois, je lève les yeux sur des filles qui tiennent une tige de ces mêmes fleurs mauves, on me parle du marquis de Sade, de bio.. Je n’y peux rien. Je me fais du mal en allant écouter le son des Naz, en ayant peur de l'y voir mais en l'espérant vainement. Je te plairais tellement plus aujourd'hui. Tu m’as appris à avoir de nouveau confiance en un corps. Et quand Manon me dit "T'es belle!", j'essaie d'y croire. Je voudrais que tu vois ce que je suis aujourd'hui, je voudrais que tu vois ce style parisien que j'ai de plus en plus, petit foulard bleu noué sur le côté, joues blushées, agenda noir dans un sac tenu à l'épaule, le fric dépensé dans des cafés, des jus d'abricot, l'haleine qui sent parfois une cigarette fumée au balcon de mon appart dans le 11ème parce que ça n'va pas, trop stressée, un concours dans une école d'art très demandée, le mot 'projet' qui revient et qui pourrait ne rien vouloir dire, du vin blanc qui glisse tellement vite dans la gorge, saint germain des près, des discussions sur le sexe avec des amis Danseurs, un ciné entre copines. Et puis je suis plus jolie que quand tu m'embrassais pour la première fois et encore plus jolie qu’en janvier de l’année dernière. J'ai réellement appris à vivre sans toi, sans tes mots ; j'ai appris à apprendre autrement, j'ai pris un ou deux risques, loupé trois ou quatre occasions. Mais tu sais les plaisirs sporadiques ne me comblent pas. Alors je les brise juste à temps. A temps de me rappeler comme eux ne t'arrivent pas à la cheville - et encore moins à celle de Hugues mais c'est une autre histoire et elles ne se mélangent pas toutes les deux. Je regarde toujours ce couple de l'immeuble d'en face avec envie. Je porte le badge 'Je lis la Princesse de Clèves' et évite au mieux le manichéisme les individualistes, incompréhensifs et bornés droitistes contre les gentils gauchaux. J'ai dû décevoir plusieurs de mes amis - j'y tenais vraiment pourtant - je n'en ai pas retenu d'autres, j'ai pris de la distance vis à vis de quelques uns aussi, et j'ai refusé de courir après certains. Mais je le vis plus ou moins bien parce que je suis détachée. Je croyais qu'il me manquait l'égoïsme pour réussir une vie d'artiste, mais j'ai réalisé que je l'étais finalement, égoïste. Tu aimerais tellement différemment ce que je suis aujourd'hui. Nos nuits seraient sans doute moins sages mais toujours aussi pures. Nos jours siffleraient dans les oreilles du printemps que la vie est à prendre innocemment comme les enfants. Que la vie est à prendre tout court. Qu'il faut y croire. Qu'il faut se foutre du temps qui court, et surtout, surtout, apprendre à aimer le détachement. Tu serais fier de moi je crois. Même si aujourd'hui je me borne à ce que je suis. Je te ressemble plus qu'avant mais je suis loin de mon fort intérieur. Je me demande souvent comment mon corps réagirait si tu le serrais tout contre toi. Si je jouerais l'innocence comme avant ou si je te montrerais celle qui se révèle parfois dans les bras de ces garçons insignifiants. De toute façon, on respirerait le même air. On n'a pas vraiment le choix tu sais. Il faut se foutre du temps qui court oui, et surtout, surtout, apprendre à aimer le détachement.
[Gainsbourg]
Commentaires :
Re:
Vendredi, avant les vacances, je suis allée l'emprunter à la BU... du coup.
Le titre, c'est Gainsbourg.
ecilora
J'aime le titre. :p