Là-haut tout est en pente, les escaliers s’inclinent, même le ciel paraît plus haut. Et Ô les coeurs! En sortant du métro en retard la tête baissée, mais les yeux levés au ciel comme pour le chercher. Il m'a dit "C'est pas grave". J'avais quatorze ans et le coeur qui battait la chamade. On est passé dans ces petites rues touristiques à plus de 90 degrés. Et moi il me retournait le ventre. Je m'essoufflais doucement à côté de ses reins. J'ai laissé quelques traces de mon regard sur les chevaux de bois au pied des marches. Un jour j'irai, je paierai plus de quatre euros le tour de manège, mais je verrai la capitale depuis le beau Paris. Je n'en avais pas besoin puisqu’il me faisait tourner la tête, et le coeur, et les yeux, et les mains, et la nuque. Et le décor qui s'échange. J'ai mis ses gants. Comme si je lui tenais la main d'un peu plus près. Les pigeons parisiens ont été remplacés par un chat et un chien des pavés du quartier artistique. Et puis, on s'est assis à l'étroit au dehors du café. Je n'avais même pas les yeux noirs. Juste lui devant moi. Comme deux amoureux ont à jouer à se maintenir le regard. Mes yeux attirés par sa bouche bien dessinée. On a même failli jouer la scène du restaurant de Quand Harry rencontre Sally. Et puis non, là ce n'était pas du théâtre, ce n'était pas ces textes qu'on me demande de retenir, ce n'était pas des intonations qui changent d'octave, ce n'était pas de ces mouvements prédéfinis qui ne semblent même pas naturels. Quand le rouge colorie les joues et la voix reste coincée dans la gorge parce qu'on ne sait pas quoi répliquer. Sa main autour de mon cou, et le gros manteau kaki sur nos quatre épaules. "Ne t’imagine pas de films". Juste parce que j'avais la poitrine glacée. Si tu savais comme j'en ai envie de cette histoire à la parisienne. D'aller lire des bouquins sur une étroite parcelle d'herbe. Etre coincé tout contre ton ventre dans un métro trop bruyant. Qu'on paie nos cafés presque quatre euros. Qu'on soit dans une file d’attente devant une salle de cinéma qui fonctionne à la consommation. Qu'on longe les quais de Seine sous un soleil orangée et que je trouve, enfin, par hasard ce Juxe Box que plus personne ne publie. Qu'on retourne là-bas, tu sais, dans le quartier d'Amélie. Que tu me montres l’ancien Moulin Rouge d’un peu plus près cette fois. Que je me jette dans ton cou en te voyant à la sortie d’un métro. Que je claque mes tongs derrière tes pas. Que la petite robe blanche te plaise.

Le roman est terminé.
Je prends le train ce soir.
Adieu Paris, ma ville,
Adieu les jours de vrai bonheur,
La bohême charmante et les amours faciles,
Tout ce qui parlait à mon cœur,
L'automne blond, le long des quais, sous les grands arbres,
Le bouquiniste et son vieux client du jeudi,
Le petit restaurant où l'on sert sur le marbre,
Où l'on dîne en vitesse, où l'on mange à crédit quelques radis.
Adieu les vieux copains, les amis que je laisse
Et vous, petite femme exquise que j'aimais.
Adieu tous mes Printemps et tous mes soirs de mai.
Adieu, Adieu jeunesse !

[Charles Trenet, Adieu Paris]