" Je prenais la vie et je la jetais sur scène. Une double tradition : celle de l’enseignement et celle de l’art. Je ne suis pas le révolutionnaire qu’on croit : j’ai dépoussiéré."
La musique s'est arrêtée, nous avons applaudi la fin du cours. Le sourire aux lèvres parce que je progresse au sol. De plus en plus. Le savourer, faire corps avec. Ne faire qu’un. Entre l'épaule qui se tord sous la poitrine et ce tapis gris. Je sors de la salle, j'aperçois L. que j'avais laissé chez moi. Elle m'annonce la mort de Maurice Béjart. Je rigole parce que je n'y crois pas. On le croyait tous invincible. Une autre lance "On a perdu un père!". Un père oui. Mon visage se ferme, se resserre sous les paupières. Et je me rends compte que je ne le verrai jamais. Hugues pense à moi en apprenant la nouvelle. C’est touchant, flatteur surtout. La Danse continue. La Danse existe, partout, dans chaque cours il y a le spectacle. Dans chaque cours il y a les comptes jusqu'à 8, il y a tous ces ports de bras qui m'échappent au début, il y a cette concentration dans nos corps. La Danse avance et continuera d'avancer - sans lui.
Pendant les vacances, les vacances des considérations, des aveux aussi, il y a eu le premier vrai spectacle de la Compagnie. Sur scène. L'interprétation y était, la technique beaucoup moins. Arnaud change quelques bouts de mise en scène une heure avant le levé de rideau. J'aime l'imprévu à gérer, à la dernière minute, comme ça à l’arrachée. Une demi-heure aérienne, en respirations essoufflées. Bien plus qu'avoir réussi à étirer le temps, sentir qu'il s'arrête. Sur la scène. A la fin, quand l'eau a coulé dans le ventre sans passer par la gorge, quand le maquillage a un peu coulé et que je m'en suis voulu de ne pas avoir tenu plus sur mes appuis, il me dira : "On attend d'un acteur qu'il se passe quelque chose, et là il se passait quelque chose". Juste un signe de tête en guise de merci. Je savais que je devais prouver des choses ce soir-là. Au fond, chaque jour tout est remis à zéro. C'est tous les jours que je dois la prouver ma Passion, cette rage en moi. Les jours d'après le stage, le cours de classique avec Rudy Bryans. Sourire. Le cours de théâtre. J'étouffe le plus possible mes rires au fond de la gorge pendant les impros. J'essaie de maîtriser ses égarements mais. Je me surprends même à faire rire. Alors. Et puis à la fin, Arnaud me félicite. "Tu l'as vraiment bien fait la nostalgie, vraiment...". Je crois bien que ce sont des compliments. Je tente un merci. La nostalgie, je me dis que pour moi c'est facile. Je grouille de nostalgie. Elle est fondue en moi, sculpté à même ma peau.
Hier matin, à l'heure où les étudiants rentrent de soirées alcoolisées, Bastille se fait silence. Parfois, il m'arrive de trouver les rues de Paris de moins en moins grandes. Sans doute l'habitude. Le train siffle au fils des pages de Thibault. Je souligne, je relève. Je n'entends même plus la musique dans mes tympans. Il faut avaler des vitamines pour tenir, pour ne pas tomber le corps en premier. Parce que les week-ends ont aussi un goût de Danse, de création. Ma prof, la chorégraphe est enceinte. Alors on devine les mouvements qu'elle nous souffle. "J'ai déjà beaucoup trop sacrifié". J'y pense moi aussi au sacrifice de mes 19 ans, de mes 20 ans. J'ai choisi. Quelques dates sont prévues. On termine le prochain ballet de la Compagnie. Je suis contente. Je trouve de plus en plus ma place au sein de la Compagnie. Mes jambes se lèvent de plus en plus hauts. Mes cheveux sont lâchés au vent des cordes qui retiennent nos poignets et nos sept corps. Je ne crois pas que j'aurai préféré voir Zeller à Sciences Po hier après-midi.
Commentaires :
Re:
Evidemment. Pour lui aussi ça coulait de source. Et c'est plaisant.
Thibault, il faut vraiment vraiment que je raconte, bien, le mieux possible.
"Et ta Danse qui plus ça va, se superpose à mes lignes, aux mots des autres"... j'avoue ne pas avoir tout compris...
Si la Danse que je raocnte créer un univers alors c'est un joli prolongement du mouvement..
Un jour, tu me verras, un jour je te dirai "je Danse là-haut à tel heure" et un jour tu y seras. Et ce jour-là, j'espère que tu aimeras, que tu ne seras pas déçu.
Re:
Quant au prolongement d'un mouvement, ça me fait peser à yannick haenel et à son bouquin. A ses dires sur les Danseuses. A sa manière de nous expliquer que les danseuses faisaient des schémas pour symboliser leurs mouvements. Et je me disais que çà, je le savais, que j'avais vu une de tes feuilles un jour... Et que j'avais trouvé ça joliment étrange.
On verra. Je ne pense pas. :) Je pense que tu risquerais de l'être plus que moi, déçue! lol. Toi, éternelle insatisfaite. :)
Re:
Pour le schéma c'est peut-être à l'article qui s'appelait : Est-ce qu'on pourrait me suivre pour un regard dans la rue. ?
C'est quoi déjà le titre du roma de Haenel?Je comprends pour ton histoire de mode et temps de Danse (tendance... wouuuuh). Ca se sent dans tes textes maintenant.
Oui éternelle insatisfaite, et je le sui très souvent pour ne pas dire tout le temps quand je sors de scène. Alors que sur le moment, c'est ... merveilleux.
Re:
Cercle. Cercle, c'est le titre. Et il y a bien un ou deux chapitres là-dedans qui m'ont fait penser, il faut que je lui lise... Juste. Tellement les mouvements et ses mots faisaient aître les émotions. Comme l'impression d'y être. A ces répétitions. A l'avant spectacle... Au pendant. A l'après. Parce que pour lui, à chaque fois qu'elle se met à Danser, c'est le monde qui disparaît, c'est une vie qui apparaît.
" Lorsque Anna Livia danse en solo, ses doigts se détachent de la main, la transe débute par la nuque, les os jouent en vrille, la tête roule d'une épaule à l'autre, son corps tout entier se déploie en glissière. Je repensais à la phrase de Pina Bausch: Je voudrais que les filles volent."
Re:
S'il se met à citer Pina Bausch alors, c'est que...
C'ets drôle comme nos écrivains s'intéressent à la Danse.
Juste te dire que c'est beau. Que je vais passer l'acheter cette semaine sûrement. cercle, et les autres dont il m'a parlé. Comme si. Enfin. Je raconterai.
Re:
Prends ton temps. Surtout. Pour raconter...
Re:
Oui prendre mon temps, pour raconter. Bien sûr. Pour écrire. (il m'a dit). "Je suis un bébé." J'ai le temps parait-il...
pour les longueurs, il faut réussir à s'y fondre, ça n'est pas tjs éviden
Salut!!
Voila, je passe te laisser mon adresse Email...: Concernant ton dernier article, j'ai adoré cette phrase: La nostalgie, je me dis que pour moi c'est facile. Je grouille de nostalgie. Elle est fondue en moi, sculpté à même ma peau..
Elle me correspond tellement à moi aussi...
A bientôt!
Et n'hesite pas à m'envoyer un Email, même si ce n'est que pour dire "bonjour"....
Bises.
Re: Salut!!
Voilà elle est enregistrée, je penserai à te dire "bonjour" alors.
Pour cette histoire de nostalgie, ça ne m'étonne pas de toi à vrai dire...
J'aime bien ta manière d'écrire, et j'y trouve une maturité qui vient sans doute, en partie, d'une grande discipline qui est une des qualités des gens de ton milieu. Et lire cette passion et ces efforts récompensés me met le sourire aux lèvres.
Re:
Merci :$ C'est vrai tu as raison, on peut dire qu' en plus d'avoir révolutionné la Danse, en créant des choses qu'on attendait vraiement pas et qui en ont surpris plus d'un en plus, il a vraiment ouvert les frontières qui séparent les Danseurs, interprètes et autres Artistes, d'un autre public beaucoup moins avertis. Un grand Monsieur. Et je me rends compte de ça, la Danse à quelque chose d'ellitiste. Alors quelque part, ça me plaît, cette impression de faire partie d'une famille dans laquelle peu peuvent s'y retrouver. Mais je suis convaincue et obstinée à faire de la Danse un Art universel..!
Il est vrai que dans ce milieu, et ça se confirme tous les jours, il n'y a pas de répis, aucune excuse, jamais. La discipline, je parle plutôt de rigueur, de travail, d'acharnement aussi. Et encore une fois, Danseuse c'est à plein temps, ma vie gravite autour de la Danse et je fais tout en fonction, même attendre le métro! Alors oui je suis sûre que cette rigueur m'a fait mûrir, et se ressent sûrement dans mon comportement en général, comme dans mes mots.
En tout cas merci, d'être passée, et d'être là.
Re:
C'est la moindre des choses, oui. Il faut certainement le voir comme ça pour ne pas s'écrouler sous le travail, la difficulté, la peur de l'échec et tout ça.
Ce n'est ni un poids, ni des sacrifices, mais bel et bien un choix.
Et je pense que tu es aussi bien placée que moi pour le savoir...
Bisous!
ecilora
Et j'aime "au fil des pages de Thibault". J'ai l'impression que seule, moi, peut comprendre... lol. Histoire de me faire mon film. :D Et ta Danse, qui plus ça va, se superpose à mes lignes, aux mots des autres, aux miens et à tout cet univers qui se crée à l'instant de la lecture.
Un jour, vraiment, il faut que je te voie danser.
BzOo dOo ma Lu